Il y a quelques semaines, je me suis pris cela en pleine figure:
_ "T'en es où, de ton livre?
_ Je n'ai pas beaucoup avancé, en fait.
_ Ouais, comme d'habitude, quand tu dis que tu vas faire un truc, quoi. Si on te bouge pas, tu fous rien. En fait, t'as dit ça mais tu t'en fous, tu le feras pas, c'est ça?"
Instant de réflexion dubitative de ma part.
_ "Euh... voilà, c'est ça! Je m'en fous! En particulier quand, alors que ça fait des mois que j'ai pas fait une nuit entière, je suis toute seule en journée pour m'occuper d'un bébé plein d'énergie!
_ Pfff.."
Ah, les fameux pfff qui signifient que je suis une merde ambulante! Bien dix minutes qu'on en avait pas entendu un!
_ "C'est bien la peine de dire ça, puisque même quand je suis là, tu fous rien, a-t-elle ajouté.
_ Je me demande bien pourquoi!"
Aujourd'hui, j'ai osé allumé l'ordinateur alors qu'elle jouait avec Amélia assise sur ses genoux au salon.
Je ne faisais rien, en dehors de les regarder jouer toutes les deux (et me sentir un peu jalouse d'être exclue) depuis cinq minutes, donc j'ai décidé d'en profiter.
Mon bébé fait un beau babillage bien réussi, je lève les yeux vers elle en souriant, la félicite pour cette grande réussite et retourne à ce que je faisais.
_ "Non mais ta mère te regarde même pas, l'important c'est être devant son micro, ma pauvre petite... Des fois qu'elle soit pas en permanence sur internet...!"
J'ai cumulé 40 minutes de connexion aujourd'hui... au total...
De l'autre côté, mon imbécile de frère n'a pas déscotché de son ordinateur, dans sa chambre, sauf pour venir se vautrer dans le canapé et allumer la télé vers 18 heures 30. Journée entière devant un écran. Et lui, bizarrement, il n'entend jamais la moindre remarque. Jamais.
Non, vraiment... je me demande pourquoi je n'avance pas dans mon projet bouquin...!
Je crois que the best de la journée, ça a été quand ma mère m'a sorti que mon psy avait raison d'avoir dit que je dois couper les ponts avec Renée et Jacques... juste avant de me dire que "ça sert à rien d'aller le voir, de toute façon ça coûte cher".
Et quand je lui ai fait remarqué l'incohérence, elle a changé de sujet pour m'apprendre que je passais ma vie à lui mentir et que, de toute manière, il était impossible de dialoguer avec moi. J'ai bien demandé quand j'avais menti la dernière fois; elle a répondu:
_ "Mais tout le temps!
_ Quand, tout le temps?
_ Tout le temps!
_ Là, maintenant?
_ Ah, ça va, joue pas avec les mots! Tu passes ton temps à mentir!
_ Parce que je t'ai pas dit que Renée et Jacques venaient à Gap avant et que je te l'ai annoncé après?
_ Rien à voir!
_ Ben alors quand?
_ Ben... à cette occasion, justement! Pourquoi tu me l'as pas dit?"
Bon, donc j'avais encore raison, c'était bien cet épisode qui me valait le nom de menteuse...
_ "Parce que, comme je t'ai déjà expliqué, j'étais suffisamment stressée comme ça pour pas que tu en rajoutes une couche.
_ Ouais, ben très bien! Puisqu'ils sont si parfaits...!
_ Parfaits? Depuis quand ils sont parfaits?!"
Chers lecteurs, vous savez que j'aime bien mes beaux-parents, mais vous savez aussi qu'ils ne sont pas toujours très francs du collier, comme on dit, et que plus d'une incohérence dans leur comportement ne m'ont pas échappé... Ce que ma mère sait très bien, car je lui en ai parlé plusieurs fois. Alors pourquoi sortait-elle cela? Mystère!
_ "C'est toi qui as dit ça.
_ Je n'ai jamais dit qu'ils sont parfaits, loin de là.
_ Tu as pas dit que ça s'était bien passé, peut-être?
_ Ben oui. J'ai effectivement dit que tout s'était bien passé, qu'ils avaient été très sympas et que la petite avait eu plein de cadeaux... J'ai jamais dit parfaits.
_ Ah ben c'est quoi, la définition, alors? Hein? Très sympas et qui font plein de cadeaux, c'est pas parfaits, ça?"
Voilà MON problème: ma mère considère que couvrir de cadeaux, c'est aimer. Des cadeaux, des jouets, des vêtements, des choses inutiles et hors de prix, j'en ai eu par centaines de milliers! Pourrie gâtée, moi? C'est carrément vrai. Il y a eu des soirs où, en m'endormant, je serrai l'une de mes peluches achetées trop cher aux Galleries Lafayette en pensant que j'aurais préféré un baiser de ma mère ou une histoire de mon père. Mais c'était plus important d'évoluer professionnellement, de nous laisser vivre avec un seul d'entre eux le temps qu'elle grimpe les échelons pour gagner plus et offrir plus...
Alors si Amélia reçoit des cadeaux ou de l'argent de la part de mes beaux-parents, cela les rend parfaits, remplissant parfaitement leur rôle de grands-parents parfaits...
_ "Ben non, pas du tout. Parfait, ça veut dire sans défaut. C'est pas parce qu'on fait un cadeau à ma fille qu'on est irréprochable, et surtout pas eux, non... En plus, tu m'as sorti que tu trouvais que c'était des gens bien. T'as déjà re-changé d'avis?"
Sincèrement, les gens, j'en ai ras-le-bol des personnes qui changent d'avis toutes les deux minutes... Sébastien qui veut un bébé mais qui veut plus de bébé... Ma mère qui trouve que ci et ça mais en fait, non pas du tout... Ras le bol.
_ "Non, j'ai pas changé d'avis! Ils m'ont eu l'air de gens tout à fait corrects quand je les ai vus...! Mais qui ont rien à faire avec la petite, quoi."
Non mais la crise de jalousie à deux balles...
_ "Tu me soules! Explique-moi pourquoi Amélia pourrait pas avoir quatre grands-parents comme tous les enfants du monde?! Des grands-parents qui tiennent à elle, en plus! C'est pas moi qui les force, hein, c'est eux qui me contactent et qui courent après deux petites heures tous les ans pour la voir!
_ Elle a pas besoin de grands-parents comme ça! Et puis regarde Quentin! Il en est pas mort, de pas avoir de père!
_ Il a eu un père! Sa mère s'est recasée, je te rappelle!"
Oui, pour info, le début de la vie de Quentin ressemble un peu à celle d'Amélia... Genre maman célibataire qui fait un bébé toute seule... Jusqu'à ce qu'elle rencontre son père (qui n'est pas son géniteur) et qu'elle ait deux autres enfants avec lui. Fin heureuse, tout ça...
_ "Ben toi aussi, tu vas te recaser!
_ Mais même pas en rêve!
_ Ah ben elle va nous faire la nonne, a décidé de dire mon père.
_ Oui, sûrement, tiens!"
J'ai eu envie de leur balancer dans les dents que c'était pas avec l'exemple qu'ils me donnaient que j'avais envie d'essayer à nouveau avec quelqu'un, mais j'ai été forte, j'ai retenu la méchanceté qui menaçait.
_ "N'importe quoi, a dit ma mère. Tu verras bien."
Elle est retournée à la cuisine, me signifiant que la conversation était terminée. Mon père, lui, en a profité pour me stresser un petit coup, en passant (genre je le suis pas assez en permanence).
_ "C'est une source à problèmes, les belges. Coupe les ponts.
_ Oh, arrête, hein. Je fais de mon mieux pour qu'elle manque de rien.
_ C'est pas pcq elle a deux grands-parents qu'elle voit jamais qu'elle manquera moins de quelque chose... On a plus d'expérience que toi, pour ces conneries-là, crois-nous.
_ Ah oui, ça, l'expérience dans les conneries de ce goût-là, je sais!"
On s'est regardé et nous avons tous les deux très bien compris qu'on parlait d'Anna, ma demie-soeur fantôme.
_ "Justement. Tu devrais écouter. On t'aura prévenue, viens pas pleurer!
_ Mais pleurer de quoi? Qu'elle est heureuse?
_ Si tu gardes contact avec eux, un jour ou l'autre, l'autre boulet va revenir aussi... C'est comme ça que ça marche. Et quand il demandera un droit de garde, tu verras!"
J'ai senti une panique sourde me broyer les entrailles mais j'ai obligé mon neurone à faire preuve de rationnel. Quand il viendra demander un droit de garde, j'aurai des milliers d'arguments contre lui. Mais quand Amélia viendra demander d'où elle vient, je veux avoir plus qu'une vieille photo et des souvenirs amers à lui répondre.
_ "De toute façon, a balancé ma mère en revenant, c'est toujours pareil. Tu fais des conneries et après c'est à nous d'être là et de ramasser les morceaux! Alors nous, on veut bien passer pour des cons cinq minutes, mais ça suffit!"
Je n'ai jamais rien demandé à ma mère avant de me retrouver enceinte, sans domicile, sans argent et mariée à Sébastien qui ne voulait plus me voir. Jamais. Elle n'a jamais essuyé aucune de mes ruptures amoureuses, jamais eu à me verser soudainement une grosse somme d'argent parce que j'étais dans le rouge, jamais eu à tenir son rôle de mère depuis que j'ai quitté la maison à dix-sept ans.
Jamais.
Et là, à l'écouter, je lui devais des dizaines de bouées de sauvetage, elle me remettait sur pied toutes les dix minutes. Parce que j'ai osé lui demander une fois, une seule et unique fois dans ma vie, d'être à mes côtés pour ne pas vivre cette grossesse complètement toute seule...?
J'en suis encore hallucinée...!
Je le savais bien pourtant. Ne jamais rien lui demander ou tu l'entends jusqu'à la fin de tes jours. Tu lui es redevable à vie d'avoir été présente deux jours...!
Lecteurs, si Amélia un jour a besoin de sa mère, je ne poserai pas de question, je n'attendrai rien d'elle, je serai juste la main tendue qui ramasse après une mauvaise chute et la voix calme qui cajole quand on est dans le noir. Une maman présente coûte que coûte.
C'est ça, une vraie maman.
Et y a des jours où la petite fille en moi aimerait bien savoir ce que c'est, elle aussi.