Comme annoncé, je vous raconte notre périple de folie pour rentrer en France.
Originellement, ça n'avait pas l'air compliqué: nous avions réservé nos billets, nous avions nos passeports, nos cartes de résidence et tous nos bagages.
Un certain nombre, certes. J'avais appelé Tunisair par avance, afin de connaître le coût des kilos supplémentaires, savoir s'il valait mieux faire passer mes 3 cartons en fret ou si je devais tenter de me les envoyer par colis via Mauripost quelques jours avant départ. On m'avait assuré au téléphone que pour le poids que j'avais, je paierais 60 000 ouguiyas (150 euros environ) pour faire passer mes cartons jusqu'à Marseille et que ce serait tout.
Cela partait donc plutôt bien.
Cependant, je vous rappelle que j'ai la poisse absolue.
En fait, un ami m'a récemment qualifiée de paratonnerre: si la foudre doit tomber sur quelqu'un, c'est inévitablement sur moi, et la foudre tombe souvent à l'échelle géologique... Ainsi, si vous devez vous faire arnaquer par une blonde proviseure qui voudra vous faire payer des X et des Y, ou bien vous marier avec le seul homme au monde qui décide avant de dire oui qu'il partira 3 semaines plus tard, ou encore prendre un avion qui a oublié de venir vous chercher, ne paniquez pas: ça ne vous arrivera pas, c'est à moi que ce genre de trucs arrivent en masse.
Sachant que Tunisair est réputé pour être en retard, j'avais insisté pour qu'on ne se presse surtout pas. Nous avons donc débarqué à l'aéroport à 23h30 pour un décollage prévu à 00h30.
Le temps d'enregistrer, de montrer une bonne demi-douzaine de fois nos passeports, nous étions dans le hall d'attente à 00h. Tranquilles, quoi.
Je vous passe le moment où les deux mauresses qui vérifiaient les visas et cartes de séjour nous ont bloqué pendant 10 minutes parce que nous leur avions donné un numéro de téléphone... français.
_" Ben oui, madame, on quitte la Mauritanie, le numéro Mauritel n'est plus valable."
Elles n'ont pas pris la peine de répondre et nous ont laissé attendre devant elles jusqu'à ce que j'interpelle un garde en uniforme pour lui demander ce qui n'allait pas.
_ "Ah, elles veulent le numéro mauritanien quand même?"
Quentin et moi échangeâmes un long regard désespéré. Nous leur donnâmes un numéro désormais invalide et poursuivîmes notre route.
C'était l'instant les mauresses de l'aéroport sont blondes en dedans.
Il y eut aussi le moment de l'enregistrement des bagages, mémorable, quand le gars voulut que je paie bien plus qu'on ne m'en avait annoncé au téléphone. Heureusement, un élan de prévoyance m'avait fait demander à Quentin de prévoir plus d'ouguiyas que les 60000 annoncés. Heureusement encore, en râlant un bon coup sur le montant annoncé, le gars devant moi diminua ma note à 63 800 ouguiyas et me remit une preuve de paiement avant de me laisser passer.
Ensuite, nous attendîmes dans le hall.
Longtemps.
J'avais trouvé qu'en arrivant à l'aéroport à 23h30, j'étais un peu culottée; c'était tardif pour un enregistrement, quand même, et je n'aurais pas pris un risque pareil dans un autre pays.
Pourtant, le hall était presque vide quand nous l'atteignîmes et nous le vîmes se remplir jusqu'à 2h du matin, les passagers arrivant sans se presser, par vague, comme s'ils avaient su que l'avion n'arriverait pas à Nouakchott avant.
A deux heures du matin, nous pûmes enfin apercevoir l'appareil sur le tarmac et embarquer. Quand nous décollâmes, Amélia s'endormit sur moi, doudou dans la main et pouce dans la bouche, crevée.
A Tunis, il était déjà aux alentours de 8h quand nous arrivâmes. Notre correspondance pour Marseille aurait dû décoller à 8h30, mais j'avais reçu un mail m'informant qu'elle ne partirait qu'à 10h30, ce qui nous laissait le temps de ne pas nous presser. Et heureusement...
Mes pieds, suite à cette brève nuit d'avion avec un petit paquet blond à frisettes sur les genoux de 13 kg, avaient déjà des allures de pachiderme, mais mon calvaire commençait à peine, car nous arrivions au niveau des transits.
Nous fîmes la queue un long moment, des gens de toutes sortes de pays nous passant devant sans s'excuser ni même nous regarder. Au bout d'un moment, fatiguée par notre nuit catastrophique, le bébé que j'avais dans le ventre, celui que je portais sur la hanche et mes bagages à main, je poussai une gueulante sur une famille de Dubaï qui me bousculait pour accéder au comptoir et à l'hôtesse.
_ "Madame, je vais juste faire une question, m'a répondu l'homme dans un mauvais français.
_ Mais moi aussi, j'ai juste des questions à lui poser! J'étais là avant, j'attends depuis 30 minutes, alors vous attendez votre tour! COMME TOUT LE MONDE!"
Il recula, gêné, mais cela ne m'aida pas. Une énorme vague de passagers déboula du couloir des transits et les hôtesses, comme avertie par ce signal, s'activèrent d'un même élan pour les accueillir, m'ignorant du même coup. Résignée, épuisée et dégoûtée, je fis signe à Quentin de me suivre dans la salle d'attente. Après tout, nous avions du temps avant notre avion pour Marseille...
Quand la foule fut dispercée, Quentin tenta sa chance pour obtenir un bonjour de l'hôtesse d'accueil. Il revint en me faisant signe que nous pouvions enfin obtenir nos cartes d'embarquement pour Marseille et je me précipitai vers la femme en laissant Quentin et Amélia avec les affaires.
_ "Bonjour, Madame.
_ Bonjour."
Je lui tendis notre réservation pour Marseille.
_ "Vous êtes enceinte? demanda-t-elle soudain.
_ Oui.
_ Où est votre autorisation médicale pour prendre l'avion?"
J'écarquille les yeux. On ne me l'avait jamais faite, celle-là. Ni à Nouakchott, ni en Russie. Dans mon cerveau saturé par la fatigue, je l'imagine déjà m'interdire de monter dans l'avion pour Marseille, m'obligeant à rester clouée sur le sol tunisien. La panique se lit probablement sur mon visage quand je réponds sur un ton presque agressif:
_ "J'en ai pas. Je suis à moins de 7 mois de grossesse, aucune compagnie n'a le droit d'exiger ça! Je viens de passer la nuit dans un avion et j'en suis pas morte, c'est bien que je peux le prendre, non?!
_ Calmez-vous, madame, c'est pas grave."
Soulagement.
Je lui donne mes papiers de réservation, elle imprime les billets, puis me demande si j'ai des bagages en soute. Je lui remets alors les codes-barres de nos différents bagages, un certain nombre, comme je vous ai dit.
Elle commença à calculer le poids total que ces bagages représentaient. Je fronçai les sourcils.
_ "C'est pour les kilos supplémentaires, c'est ça? demandai-je en la devançant.
_ Oui, répondit-elle en levant la tête.
_ J'ai déjà payé à l'enregistrement.
_ Où ça?
_ Nouakchott, Mauritanie."
Je lui tendis le reçu, elle l'examina comme un objet curieux qu'elle n'avait jamais dû voir avant et observa le montant en ouguiyas. Je fus à peu près certaine à ce moment-là qu'elle ignorait complètement quelle était cette étrange unité monétaire et qu'elle se demandait si ce reçu était du lard et du cochon. Elle s'adresse à sa supérieure, fit plusieurs photocopies de mes codes-barres et de mon reçu, tapa sur son ordinateur un moment puis finit par me rendre mes billets et tout le reste. Cela me parut interminable.
Nous pûmes quitter cette salle d'attente contre un coup de tampon sur nos billets fraîchement imprimés.
Je proposai à Quentin de prendre un petit déjeuner dans un petit café de l'aéroport. Boire un jus de fruit et manger quelque chose ferait du bien à Amélia comme à lui et il accepta.
Nous nous posâmes donc un peu.
Amélia, qui n'avait rien avalé de la matinée, vida son verre de jus d'orange d'une traite. Depuis qu'elle a appris à s'en servir, c'est une fan des pailles. Elle avala à peine deux bouchées de gâteau avant d'être distraite par un bébé dans sa poussette, assis à la table d'à côté. De mon côté, j'avais répéré le mot SOLDES sur la vitrine du Duty Free, juste en face de nous, et l'anniversaire de Quentin arrivant le 9 juillet, je trépignais à l'idée d'utiliser ma carte bleue si longtemps inactive dans un pays où il n'y a rien à acheter...
Confiant à Quentin le soin de finir son petit déj et de surveiller les bagages à main, j'entrainai la terreur à bouclettes dans mon sillage jusqu'au magasin.
Tandis que je farfouillais dans les t-shirts, les polos et les chaussettes Hugo Boss, Lacoste et autres marques, ma fille s'empara d'un paquet de chocolat, de deux paquets de bonbons et d'une valise à roulettes rose en forme de papillon. Elle revint les bras chargés de ses emplettes, tractant derrière elle la valisette, et me tendit un paquet au hasard en me disant:
_ "Bonbons. Ouve."
(En bon français adulte, ça donnerait "Maman, pourrais-tu s'il te plait m'ouvrir le paquet de bonbons?" Mais bon, elle va avoir deux ans, hein...)
Je ramassai mon choix de cadeaux pour Quentin (deux t-shirts Hugo Boss et une paire de chaussettes Lacoste qu'Amélia m'a tendues, pleine de bonne volonté) et pris les bonbons des bras d'Amélia.
_ "Ah non, pas ceux-là! Attends, viens. On va en choisir d'autres."
Je parvins à troquer ses trois paquets contre un gros de kit-kat et l'entraînait vers la caisse. Pour lui faire lâcher la valisette, je dus lui passer une peluche de chameau; et pour qu'elle renonce au chameau, je lui ouvris un kit-kat...
Je sortis pour retrouver Quentin, une princesse plein de chocolat partout sur les joues et les mains.
_ "L'avion est annoncé en porte 51. On peut y aller."
Je regardai l'heure. Oui, ça commençait à être le moment.
L'embarquement était bien indiqué porte 51 et clignotait sur l'écran. Mais les portes étaient fermées, personne n'embarquait et la salle d'attente était comble.
Nous patientâmes un long moment. A 11h, nous n'avions toujours pas bougé. Pour un vol prévu à 10h30, je commençais à trouver cela inquiétant.
Amélia, après m'avoir accompagnée aux toilettes pour faire pipi "sur le pot comme les grands", avait fini par sombrer contre moi, doudou contre le visage.
Mes pieds avaient atteint des proportions inégalées dans l'histoire des records du pied, assise avec elle dans les bras qui piquait un somme.
On vint nous apprendre que finalement, l'avion n'était pas là et que nous ne décollerions pas avant 14h. Un scandale éclata, plusieurs personnes hurlèrent, et je posai vainement la question de savoir pourquoi, dans un aéroport, on ne pouvait pas nous trouver un autre avion. L'écran, en réponse à notre impatience, afficha le vol pour Tripoli qui succédait à celui de Marseille porte 51. Nous venions d'être purement et simplement effacés.
Après un moment, on nous indiqua qu'il fallait changer de salle d'attente pour la porte 53. Amélia ne se réveilla pas et je la posai sur deux places assises en essayant de la caler confortablement avec des pulls.
L'attente, interminable, commença. Quentin appelait ses parents à chaque nouvelle information pour leur apprendre combien notre retard se creusait.
Tunisair avait concédé de nous apporter des sandwiches, jambon de volaille et fromage, ainsi qu'une boisson par personne. Les passagers se ruèrent sur la nourriture. Quentin fit la queue pour nous trois. Il revint avec nos sandwiches et nos bouteilles d'eau, furieux de l'attitude des gens. Une nana obèse, qui prenait 3 places pour poser ses fesses en salle d'attente, avait bondi tel un puma, d'une agilité formidable pour sa corpulence, dès que les sandwiches avaient fait leur apparition dans la salle.
Servie la première, elle criait désormais: "faites place, faites place! les personnes âgées d'abord!", faisant mine de bonne action en laissant les enfants pleurer de faim et leurs mères, piétinées par la foule, impuissante à les calmer.
_ "Non mais si elle veut donner des leçons de moral, elle peut aussi donner son sandwich, je siffle, excédée. Elle se sert avant tout le monde, elle mange, et ensuite, il faudrait que les gens attendent? Et puis pourquoi les personnes âgées d'abord? Les enfants n'ont pas moins faim...!"
Quentin m'approuve et nous mangeons nos sandwiches en silence, dégoûtés par ce voyage.
_ "Tu crois que c'est une sorte de punition divine? demandé-je après un moment. Ce bordel, cette attente, cette... poisse... Une sorte de malédiction, genre on ne quittera pas indemne la Mauritanie...?
_ Je sais pas. Je pense pas qu'on l'aurait mérité, ceci dit.
_ C'est peut-être le marabout de Blop..."
Il ricane.
_ "Pourquoi pas?
_ J'ai hâte de chercher des appartements pour passer à autre chose. Avoir l'esprit occupé à notre avenir pour ne plus ressasser cette expérience pourrie qu'ils nous ont faite vivre à l'école."
Puis après un soupir, j'ajoute:
_ "Les élèves vont me manquer. On pourra garder contact, tu crois?
_ J'espère. Moi aussi, certains vont me manquer."
Avant 14h, une sorte de miracles se produisit: nous embarquâmes. Quand nous fûmes installés à nos places, Amélia réveillée et repue d'avoir avaler des morceaux de sandwiches et de kit-kat, nous attendîmes encore.
Il manquait des passagers.
A force d'appel dans l'aéroport, deux d'entre eux finirent par nous rejoindre. Le troisième n'arriva jamais. Ils dûrent sortir tous les bagages de la soute pour trouver les siens et les renvoyer à l'aéroport. Je commençais à penser que voir tous vos cartons et nos bagages arriver à Marseille tiendrait d'un autre miracle.
Nous décollâmes tard et nous arrivâmes à Marseille aux alentours de 18h.
Je songeai avec amertume que j'avais choisi ces billets d'avion pour être en France en fin de matinée. Encore râté...!
Les parents de Quentin nous attendaient. Ils étaient venus avec son petit frère et deux voitures, prévenus par Quentin que nous avions un bon paquet de valises avec nous... et les deux coffres ne furent pas de trop.
Je regardai défiler la végétation provençale autour de nous, à peine embêtée d'être prise dans les bouchons de 18h30 le jour de notre retour.
_ "On est chez nous."
Quentin approuva vaguement, concentré sur la circulation.
_ "C'est tellement joli. Je crois que je ne me rendrai jamais assez compte de combien c'est joli."
Je me tournai vers Amélia.
_ "Bienvenue en France, ma chérie."