Auto-destruction
Vous avez déjà remarqué qu'on a, en grande majorité, une tendance un peu bizarre à vouloir des choses qui nous font souffrir?
Je discutais sur FB avec un ancien prof d'histoire-géo à moi, qui m'a eue dans sa classe en première et que j'adore, il y a de cela trois jours.
Vous savez ce qu'il m'a dit?
Il m'a dit: "Je me souviens bien de Quentin. A l'époque où vous étiez tous les deux dans ma classe, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que vous étiez parfaitement assortis... jeunes, beau et belle... le couple idéal."
Merci... avec huit ans de retard!
Et là, j'ai commencé à me dire: "Ah mais si seulement j'avais su! Si seulement il m'avait dit cela à l'époque en question!"
Sauf qu'en fait... à l'époque en question, je le savais autant que maintenant. J'ai juste pas choisi cela.
Pour la petite histoire, j'ai rencontré Quentin quand j'avais quinze ans. J'allais en avoir seize et nous nous sommes retrouvés dans la même classe de première S. Le courant est tout de suite passé. Je l'aimais bien, c'était un gars gentil, drôle, souriant, qui me faisait exploser de rire à chaque bêtise qu'il sortait.
Lui en pinçait pour moi.
Il a été un peu long à se déclarer... en fait, il a pris des siècles, et moi, de toute façon, en bonne fille psychoteuse, je ne voulais rien voir ni rien savoir tant que ce n'était pas clairement dit et mis à plat, par peur de me tromper, de mal comprendre et mal interprêter...
Et puis, à seize ans, sans jamais avoir eu le moindre petit copain jusque là, j'étais plus que timide et j'aimais le confort d'excuses aussi idiotes que futiles telles que "ça gâcherait notre amitié... imagine que ça marche pas, on pourra plus être amis!"
A cette époque, l'ex numéro un a débarqué, d'abord en couple avec la fameuse Karine, puis célibataire après une rupture en pointillé. Il n'avait rien de subtil, de délicat, de charmant.
C'était un gros bourrin, bellâtre d'accord, mais bourrin quand même, qui n'y allait pas par quatre chemins et qui, quand il s'est aperçu que je lui plaisais, s'est mis en "chasse" sans la moindre nuance dans son jeu.
Allez savoir pourquoi c'est lui qui a gagné.
Sûrement parce que, justement, je ne l'aimais pas.
Je ne peux pas m'empêcher de penser que ce choix-là était déjà un signe carrément inquiétant de ma propension à l'auto-destruction.
J'ai choisi le gars qui, après quelques mois à obtenir de moi tout et n'importe quoi, allait me tromper en couchant avec son ex, m'insulter de tous les noms et me faire passer pour une trainée qui a tous les torts.
Est-ce que ça ne vous rappelle pas quelque chose de plus récent?
Nous, les filles, avons une tendance malsaine à choisir ce genre d'hommes. Cela en fait des tombeurs qui collectionnent nos larmes comme on collectionne les porte-clés et tout le monde trouve cela normal parce qu'il est dans l'ordre des choses qu'une jeune fille se pique le coeur sur les cornes de ces gars-là.
Bien-entendu, ce genre d'histoire rend frileuse...
Est-ce que j'aurais dû sortir avec Quentin? Est-ce que j'aurais pu? Est-ce que j'aurais aimé? Est-ce qu'on se serait fait du mal, comme tous les couples maladroits, jusqu'à se laisser fâchés et tous seuls?
J'ai eu Quentin au téléphone ce soir et je lui ai répété ce que Monsieur Anfossi m'avait dit, en rigolant de bon coeur. Après tout, on ne change pas le passé.
Il a répondu en soupirant:
_ "Et ça t'étonne encore?
_ Quoi? Tu trouves qu'on était assorti?
_ Ben oui! Comme beaucoup de gens autour de nous.
_ Pourquoi c'est huit ans plus tard qu'on me sort ça, sérieux?
_ Je crois qu'on n'a jamais compris que tu aies choisi l'autre gars. Je le citerai pas, je vais m'énerver.
_ L'ex numéro un?
_ Appelons-le comme ça, ouais.
_ Je les numérote, c'est plus simple, admis-je.
_ J'ai arrêté de compter de mon côté.
_ Eh! Arrête de faire style j'ai eu plein de filles!
_ Combien pour toi?
_ Trois, dont le troisième... platonique. Je pourrai dire quatre quand je serai divorcée.
_ Tu le comptes pas déjà, lui?
_ Autant faire les choses bien...
_ L'ex numéro trois, platonique...!
_ Tu le savais, je te l'avais dit.
_ C'est vrai. Bizarre quand même."
Et là, en discutant, j'ai commencé à avouer un truc que je ne m'étais même pas avoué à moi-même.
_ "Je crois que j'avais peur.
_ Peur de quoi?
_ De tomber enceinte alors que c'était pas le moment. Peur de devoir avorter. En fait, ça m'a tellement terrifiée que j'ai passé cinq ans en couple avec un gars qui ne m'a pas touchée. Je n'aurais pas supporté d'avorter...
_ Vraiment, c'est pour ça?
_ Quand j'ai rencontré Séb, tous ces verrous mentaux ont sauté d'un coup parce que... parce que je pouvais avoir ce bébé. Je le voulais et j'en avais le droit. Il a été le déclic.
_ Et tu as ta fille.
_ Oui."
Je me souviens qu'en discutant avec l'ex numéro trois au tout début de notre relation, je lui avais parlé de Quentin. J'avais dix-huit ans, des études à faire et très peu de temps à consacrer à l'avenir d'une potentielle histoire qui n'a jamais vraiment commencé.
_ "Te vexe pas pour ce que je vais te dire, hein.
_ Quoi? a-t-il demandé.
_ Quentin et moi... c'est comme si on avait toujours eu envie de danser sur la même musique mais qu'aucun de nous n'avait eu le bon tempo."
J'ai laissé passer une seconde, pour réfléchir à ce que je venais de dire et à ce que j'allais continuer à dire.
_ "Je n'y peux absolument rien mais... j'ai depuis pas mal de temps le sentiment que... Quentin sera le père de mes enfants. Enfin... je sais pas. Le prends pas mal. C'est juste une impression. Et en même temps, quand je veux la regarder en face, elle disparaît."
L'ex numéro trois n'a jamais pu encadrer Quentin après ça.
Aujourd'hui, j'ai Amélia et il n'est absolument pour rien dans sa conception. Il vit en Allemagne où il a un CDI d'ingénieur en agro et où il fait un élevage de scarabés.
Voilà toute l'histoire à côté de laquelle je suis passée!
Ou... peut-on vraiment dire que je suis passée à côté? Puisqu'elle n'a jamais existé, il parait difficile de l'avoir jamais contournée, non?
J'ai choisi l'ex numéro un. Ou plutôt, je l'ai laissé me choisir.
Et j'ai fait la même chose avec Sébastien.
Qu'est-ce qu'on a, contre les gars bien?
Pourquoi le bonheur nous fait-il flipper au point qu'on aille dans la direction inverse se jeter dans les bras d'imbéciles suffisants qui vont nous bousiller jusqu'à l'envie d'aimer?
Est-ce que ça vient de l'éducation? Est-ce qu'on est programmée comme ça?
Est-ce que nos parents nous inculquent à coup de fessées et de bonnes grosses gifles qu'aimer va de paire avec la frustration et la souffrance? Et qu'il est donc anormal d'être simplement bien avec quelqu'un sans avoir une part de douleur ou de problèmes?
Est-ce que je peux choisir une autre façon d'élever Amélia pour qu'elle puisse faire de meilleurs choix que moi, des choix qui la rendent heureuse...?
La bonne nouvelle c'est qu'après ce coup de fil avec Quentin ce soir, je n'ai plus psychoté que sur ce genre de choses...! Au point qu'il est presque 4 heures du matin et que je suis en train de vous écrire cet article, affligée d'être aussi nulle dans le choix de mes hommes...
_ "Peut-être que ce genre d'erreurs ne dépendent pas complètement de nous?
_ De qui, alors?
_ Du destin ou un truc dans ce goût-là.
_ Je crois pas au destin.
_ Pourtant, avant de craquer sur ces types, il faut les rencontrer. S'ils n'étaient pas sur notre route pour rien?
_ Ouais, pour nous faire souffrir! Joie...!
_ Ou peut-être plus.
_ Comme...?
_ Amélia."
Instant de réflexion silencieuse.
_ "D'accord... Mais on n'a pas le choix, alors?
_ On a le choix d'accepter que nos vies ne soient aussi lisses et prévisibles que du papier à musique... ou bien de s'en vouloir longtemps pour des erreurs qui, finalement, nous apportent plus qu'on ne veut bien l'admettre.
_ Je ne suis pas encore complètement dans cette phase baba cool où j'accepte tout, et même le pire, de la vie.
_ Les hommes, tous des cons?
_ Ouais.
_ Même Quentin?
_ Quentin, c'est pas pareil... Quentin, c'est Quentin.
_ En somme?
_ On a toujours pas le bon tempo... mais un jour peut-être."
Ah, les peut-être...!
Après que je vous ai écrit l'article "Si j'étais une fille...", j'ai discuté avec Claire qui craque plus ou moins sur un garçon mais qui n'ose pas lui dire parce qu'au fond, je le sais, elle trouve d'autant plus délicieux de ne pas savoir.
Comme moi avec l'ostéo sexy, en fait.
Ce serait bien pratique de l'appeler et d'être fixée une bonne fois pour toutes, non? D'arrêter de me faire des films, de me poser des questions, de douter... Mais je ne le fais pas.
Parce que, dans ce genre de situations, l'incertitude est bien meilleure. Psychoter comme une fille normale qui pourrait y avoir droit, qui pourrait plaire à quelqu'un et qui ne serait pas juste... toute seule avec un bébé, les cheveux ternes et les cernes creusées... mais quel plaisir!
Peu importe que je lui plaise vraiment ou non et qu'il se passe quelque chose ou non. Qu'il ose le premier pas ou qu'on reste chacun à notre place en psychotant quelques jours avant de passer à autre chose n'a aucune importance.
Comme dirait Klöryen (= personnage principal d'un roman que vous lirez jamais parce que c'est pas fait pour, qui incarne l'homme parfait mais genre... hyper parfait... bref, le héros, quoi):
_ "Il y a quelque chose de rassurant dans un possible qui n'est pas réalisé... Du moins, tant qu'il reste possible."
Et voilà, on en revient à notre enfance et notre éducation...!
Pourquoi ce besoin d'être rassurée? Bon sang, les filles! Pourquoi on aime psychoter, pourquoi on aime le côté rassurant du fantasme, du rêve, de l'imaginaire qu'on peut moduler à souhait pour ne surtout pas affronter la réalité? Qu'est-ce qu'on nous a légué de bagages pour qu'on ait peur à ce point de vivre...?
Qui nous a appris à avoir peur du bonheur?
2016. Devant l'école.
_ "Maman, c'est lui mon amoureux!"
Je regarde le garçon que ma fille pointe du doigt sans honte ni pudeur, tout sourire.
_ "Ah oui? Il est gentil?
_ Oui. C'est moi qui commande de toute façon."
L'aplomb avec lequel elle me sort ça me fait éclater de rire. J'embrasse son front.
_ "Mon ange, tu as bien raison!
_ Je lui ai dit que s'il partait comme papa quand on serait marié, ben je l'aimerais plus et aussi, je le dirais à la maîtresse."
A la façon dont elle le dit, c'est la menace ultime.
Je me force à lui faire un nouveau sourire.
_ "Avec une fille comme toi, personne n'aura jamais aucune raison de partir, Lya. Ce serait être plus stupide qu'une fourmi décérébrée."
Elle éclate de rire.
_ "Maman, ça a pas de cerveau, les fourmis!
_ Ah bon? Tu sais ça, toi?
_ Bah oui!"
Abandonnée avant même de venir au monde...
Comment voulez-vous qu'on lui fasse croire aux contes de fées? J'ai du pain sur la planche, les gens.
Je ne veux pas lui apprendre à avoir peur du bonheur.